L’été invincible                                                       p.11

 
 

Lorsque nous parlions des indigènes du pays, nous les nommions «des Arabes » et leurs femmes étaient « des Mauresques ». Pour les Arabes, nous étions des « Roumis » ou des « Gaouris » (1) D’usage courant au Maghreb, surtout en Tunisie, gaouri désigne l’Occidental, l’Européen, le chrétien, parfois le mécréant. Arrivé en Afrique du Nord au moment de la domination ottomane, le terme vient du turc gavur (qui désigne le cochon = l'infidèle !).

Langage courant. Rien de péjoratif. Nous allions acheter des raviolis chez l’Italien, de la bonne charcuterie chez l’Espagnol, des vêtements chez le Juif du coin et les légumes chez l’Arabe. Nous ne voyions rien qui pût choquer les bonnes consciences. C’était notre façon de nous exprimer. Lorsque je suis arrivé à Paris en 1962, j’ai tout de suite vu que le vocabulaire des Français métropolitains était un peu différent alors j’ai essayé de surveiller mon langage. J’ai eu du mal à distinguer le bien du mal ou le bon du mauvais. Ainsi les habitants de nos anciennes possessions et protectorats du Maghreb n’étaient pas des Arabes mais des Nord-Africains ou nous tournions autour du pot pour les désigner. Je sais qu’aujourd’hui, pour bien nous exprimer, il nous faut dire « Maghrébins » et dans les cités, ce sont des « jeunes » ou des « bandes ethniques » qui sévissent.

Depuis Vatican II j’ai perdu mes petites notions de latin. J’ai gardé mon anglais parce que je l’ai toujours beaucoup pratiqué. Il me faudra faire un effort pour maintenir mes expressions de là-bas. Autrefois, dans les rues de Paris, nous nous reconnaissions à notre accent :

-Tu es d’où ? De Boufarik. Ah, moi je suis d’Alger.

Pourtant, je sens bien que « l’accent s’en va, madame, l’accent s’en va… Las l’accent ! Non, mais nous nous en allons. »


Mes photos de Tipasa constituent un trésor pour moi, le redirai-je ? J’ai été très heureux sur le littoral algérois mais je regardais souvent vers le nord parce que je me sentais Français d’abord. Dans ma famille, nous ne goûtions pas le charme des objets de cuivre, des bijoux kabyles ni des gros tapis de Tlemcen. Le parfum des fleurs de jasmin donnait, disait-on, mal à la tête. Trop fort. C’était l’odeur des jardins arabes. Maintenant je vais chercher la Méditerranée au sud de l’Europe et lorsque le vent effleure ma peau, je devine qu’il vient de là-bas.



J’aimais ce coin.






Mes photos de Tipasa constituent un trésor pour moi, le redirai-je ?





Une "signature" à Alger, chez le libraire Edmond Charlot. Debout : Jules Roy et Gabriel Audisio ; assis : Janine Montupet et Camus.


 

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Lorsque nous parlions des indigènes du pays, nous les nommions «des Arabes » et leurs femmes étaient « des Mauresques ».