Derrière la stèle, « au fond du paysage, pouvons-nous voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller s'accroupir dans la mer. »
Albert Camus.
Dernière page de La mort heureuse :
Tout le grand Camus est là. Alors lire lentement, respirer profondément, fermer les yeux, rêver.
« Le matin qui pointa fut plein d'oiseaux et de fraîcheur. Le soleil se leva rapidement et d'un bond fut au-dessus de l'horizon. La terre se couvrit d'or et de chaleur. Dans le matin le ciel et la mer s'éclaboussait de lumières bleues et jaunes, par grandes taches bondissantes. Un vent léger s'était
levé et par la fenêtre un air à goût de sel venait rafraîchir les mains de Meursault. A midi le vent cessa, la journée éclata comme un fruit mûr et sur toute l'étendue du monde, elle coula en jus tiède et étouffant, dans un concert soudain de cigales. La mer se couvrit de ce jus doré comme d'une huile et renvoya sur la terre écrasée de soleil un souffle chaud qui l'ouvrit et laissa monter des parfums d'absinthe, de romarin et de pierre chaude. De son lit, Mersault perçut ce choc et cette offrande et il ouvrit
les yeux sur la mer immense et courbe, rutilante, peuplée des sourires de ses dieux. Il s'aperçut soudain qu'il était assis sur son lit et que le visage de Lucienne était tout près du sien. En lui montait lentement, comme depuis le ventre, un caillou qui cheminait jusqu'à sa gorge. Il respirait de plus en plus vite, profitant des passages. Cela montait toujours. (...)
"Dans une minute, une seconde", pensa-t-il. La montée s'arrêta. Et pierre parmi les pierres, il retourna dans la joie de son cœur
à la vérité des mondes immobiles.
Cette dernière page est peut-être venue d’un seul jet, mais non, je n’y crois pas. Elle a été travaillée avec beaucoup de soin, seulement la grande maîtrise de l’écrivain a effacé le travail. C’est aussi cela le talent.